L’abandon comme traumatisme précoce (par Johanne Lemieux) 5/5
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La blessure de l’abandon est une blessure invisible (enfin) validée par les psychologues et psychothérapeutes. Ou, plus spécifiquement, les conséquences, les impacts de cette blessure dans la vie d’adulte sont acceptés, d’une manière générale.
Concernant les personnes adoptées, la blessure d’abandon, si elle paraît évidente, l’enfant adopté ayant été abandonné par sa mère biologique en amont, elle a cependant été minimisé, voire ignoré.
🎧 Dans cet épisode, Johanne Lemieux, psychothérapeute québécoise, explique la blessure de l’abandon chez les personnes adoptées. Vous allez enfin comprendre pourquoi, les personnes adoptées, se sentent démunies, seules, incomprises.
Mais avant de commencer, posons les bases.
Qu’est-ce que la blessure d’abandon ?
La blessure d’abandon, devenu le trauma de l’abandon, le terme de blessure étant utilisé il y a 30 ans.
La blessure d’abandon est universel. Freud l’appelle l’angoisse d’abandon.
La blessure d’abandon fait partie des 5 blessures universelles que Lise Bourbeau a vulgarisé auprès du grand public ces dernières années.
Si vous n’êtes pas encore familier avec les 5 blessures, les voici : blessure de trahison, blessure de l’humiliation, la blessure de rejet, la blessure d’injustice et enfant la blessure d’abandon.
À quoi l’angoisse de l’abandon est-elle liée ?
Comme son nom l’indique, elle s’est construite à la suite d’un abandon dans l’enfance.
C’est la raison pour laquelle elle est plus forte, a plus d’impact sur les enfants ayant grandi avec un seul parent, peu importe la raison de la séparation : décès, travail qui éloigne (commercial, militaire, etc), séparation, divorce. Les personnes adoptées, orphelines sont donc plus que concernées par cette blessure !
En général, si les personnes adoptées ne sentent pas concernées par cette blessure de l’abandon, c’est qu’elles sont dans le déni. Une séparation avec la mère biologique est difficile à accepter, intégrer, comprendre, surtout lorsque l’on est un enfant.
Il se peut également que cela soit dû au fait que cette séparation avec la mère biologique ne soit pas délibérée : vol d’enfants, consentement non donné pour l’adoption. Aujourd’hui, on sait que ce type de pratique existe.
Dans tous les cas, il faut retenir que chaque humain est concerné par cette angoisse de l’abandon.
En quoi la blessure de l’abandon peut-elle conduire à un traumatisme ?
Cette séparation plus ou moins longue avec l’un des parents, voire infinie dans le cadre d’une adoption plénière, a causé un sentiment d’insécurité. Or mettre en place des facteurs de sécurité est la priorité des parents pour leur enfant.
Ce sentiment d’insécurité peut ensuite être lié par une difficulté de faire confiance à d’autres personnes. On appelle cela l’attachement.
Cela se fait, se construit de manière inconsciente.
Pourquoi Freud l’appelle comme « angoisse d’abandon » ?
Lorsqu’un bébé n’a pas eu suffisamment de contact avec ses parents, ou ses donneurs de soin dans le language médical, cela créé une angoisse. En effet, ceux-ci ne sont plus présents pour répondre à ses besoins : la faim, la soif, par exemple.
En orphelinat, les donneurs de soin ne pouvant s’occuper de tous les bébés/enfants en même temps, les bébés ont compris que leurs besoins primaires ne pouvaient donc pas toujours être remplis immédiatement.
Avec le temps, le fait de rester seul, isolé alors qu’il avait besoin de présence, le bébé ressent cette angoisse, cette peur d’être abandonné.
Il a d’ailleurs été prouvé que des bébés dont on ne remplit pas les besoins peuvent se laisser mourir.
En effet, si cela ne se fait pas consciemment, le bébé ou l’enfant sait que cette situation n’est pas normale. Or, pour s’épanouir, un enfant a besoin de présence, de contact. Une absence trop longue lui parait suspecte. C’est ainsi qu’il développe une sensation plus forte de l’abandon.
La blessure de l’abandon, l’angoisse d’abandon va rester graver dans ces cellules, dans son ADN.
C’est pourquoi arriver à l’âge adulte, sans comprendre le comment du pourquoi, les personnes avec ce traumatisme ressentent une dépendance affective.
Que ce soit dans les relations professionnelles ou personnelles, ce sentiment d’abandon persiste.
Qui est Johanne Lemieux ?
L’adoption de ses 3 enfants l’ont amené à ce concentrer sur le fonctionnement de ceux-ci et comprendre pourquoi l’amour de 2 parents ne calmaient pas leurs douleurs, n’apaisaient leurs journées.
Il y a 30-40 ans, la conscience collective pensait que nous, les personnes adoptées, oublierons notre passé. Or cet évènement nous a séparé de celle qui aurait dû nous aimer, nous éduquer.
Heureusement, à présent, les neurologues, la science et petit à petit, la conscience collective admet que cette rupture, cette séparation a laissé des séquelles.
30 années de recherches, d’études, d’enquêtes permettent à Johanne Lemieux de nous parler de notre fonctionnement.
Pour avancer et comprendre, écoutes les épisodes de la Mini-série Spéciale Adoption sur le Podcast le Journal d’une adoptée.
Conférence de Johanne Lemieux sur l’abandon comme traumatisme chez les personnes adoptées
Concernant la blessure d’abandon, des blessures d’une manière générale, on parle maintenant de trauma précoce.
Les blessures de l’abandon et du rejet inscrite dans le système nerveux
On a compris que les blessures invisibles sont inscrites dans le système nerveux d’une personne. C’est physiologique et non pas dans les nuages. Ou, comme on a pu le penser, une question de cognition ou d’intelligence ou d’inconscient.
Cet inconscient est situé dans notre corps.
C’est ce que j’essaie de faire depuis 30 ans de dire : il y a des facteurs de risque que les personnes adoptées ont vécu dans leur vie. On peut pas changer ça. Ils ont vécu ce qu’ils ont, ce qu’ils avaient à vivre.
Mais l’endroit, l’espace où on a vraiment du pouvoir, comme pays d’accueil, comme protection de la jeunesse, de protection de l’enfance, comme parents et comme famille qui accueille les enfants, c’est de mettre le plus possible des facteurs de protection.
Les facteurs de protection
Malheureusement, les grands adoptés qui ont plus de 20 ans, que ça soit au Québec ou en Europe n’ont pas toujours bénéficié de ces facteurs de protection.
Il est important de comprendre que les facteurs de protection ne sont pas juste d’avoir 2 bonnes personnes, 2 bons parents qui ont de l’amour à donner et qui vont donner des bons soins.
C’est autre chose dont une personne qui a vécu ces traumas là a besoin. Il y a des histoires tristes.
Par manque de connaissance, par maladresse, par méconnaissance, des parents voulant bien faire ont parfois causé plus de facteurs de risque.
En conséquence, les enfants adoptés, ne se sentant ni compris, ni accueillis ont créé une relation d’attachement défaillante. On va en parler aujourd’hui, la relation d’attachement a été mise à mal.
Une relation d’attachement mise à mal
Cette relation d’attachement aurait-elle été mise à mal de toute façon pour toutes sortes de raisons et de facteurs ? Peut-être.
Mais dans mon travail, je vois très bien que des parents mieux préparés mieux outillés, mieux évalués facilitent l’attachement.
Les personnes adoptées de par leur vécu pré-adoption, particulièrement au début de leur arrivée dans leur nouvelle famille, sont à entretien plus sophistiqué qu’un enfant modèle de base, en bonne santé.
Donc il y a des histoires qui sont fabuleusement heureuses et qui se sont bien passées. Et il y a des histoires qui ont été beaucoup plus souffrantes.
Et pour des raisons que ni ni les familles qui ont maintenant des enfants de 20, 25, 30, 40 ans, ni les familles ni les personnes adoptées elles-mêmes ne peuvent mettre le doigt sur ce
qu’il s’est passé ou ce qu’il ne s’est pas passé ou ce qui aurait dû se passer. Alors il y a 30 ans, il y a 40 ans et encore plus il y a 60 ans, on ne savait pas que d’avoir vécu des ruptures, des traumatismes, de stress chroniques en très bas âge pouvait avoir des conséquences à très long terme.
Ces conséquences n’étaient pas une condamnation. Il y avait des choses à faire pour apaiser ces séquelles, encore faut-il savoir qu’elles existent.
Encore faut-il savoir quoi faire avec. Est-ce que maintenant en 2021-22, on peut tout prévoir, tout soigner, tout apaiser ? Non. Mais je crois sincèrement qu’on sait beaucoup plus de choses. On sait comment ça va construire quelque chose de particulier chez elle. Quelque chose avec lequel elle va devoir qu’elle devoir apprivoiser dans sa vie.
Peut-on guérir de la blessure d’abandon ?
La bonne nouvelle est que l’on peut guérir de cette blessure de l’abandon. Ou du moins, il est possible de l’apaiser.
Avant tout, il est essentiel de comprendre celle-ci puis de l’accepter.
En tant que personne adoptée, je sais qu’il n’est pas simple d’accepter que l’on a été « abandonnée » quand on était un nourrisson, un bébé ou un enfant.
Il m’aura fallu attendre 37 avant de poser ce mot et même de le prononcer.
En effet, j’ai grandi dans une famille aimante, je n’ai jamais manqué de rien, alors je me devais d’être heureuse. Je n’avais aucune raison de me sentir abandonnée et puis, ça n’avait pas d’importance, car j’ai une belle vie.
C’est la raison pour laquelle ma mère biologique n’existait pas dans ma vie.
Lorsque j’ai enfin posé les mots, accepté l’inacceptable, j’ai compris que le mal-être que j’avais était, en partie, lié à cette séparation.
Par évident de se dire que notre mère biologique, celle qui aurait dû s’occuper de nous, nous a « abandonné ». Étant enfant, on ne comprend pas, on ne sait pas le côté rationnel qui se cache peut être derrière.
Comment j’ai guéri
À partir du moment où j’ai entendu parler de la blessure de l’abandon et que j’ai compris son impact dans ma vie, j’ai pu mettre en place de nouvelles habitudes pour diminuer cette sensation d’abandon.
J’ai pris conscience de ma dépendance affective et de cette peur d’être abandonné en permanence.
Grâce à un travail sur moi-même, un travail d’introspection, j’ai réalisé que ce sentiment d’abandon m’avait poursuivi toute ma vie. De manière « réelle », avec le décès d’êtres chers ou de façon plus subtile, avec ce syndrome d’abandon, avec chaque personne qui ne restait pas dans ma vie.
Mon principal conseil ?
Se faire accompagner.
Dans l’adoption, et même hors adoption, l’abandon reste un traumatisme. Il est donc important de voir des professionnels qui peuvent nous permettre de libérer ce traumatisme.
Ressources
🎧 Cet épisode est extrait de la conférence avec Johanne Lemieux donnée lors du Sommet des adoptés.
✅ Écouter et ré-écouter la conférence de Johanne Lemieux c’est possible ! Johanne Lemieux explique, pendant 30 minutes, la blessure invisible de l’abandon.
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