Le Journal d Une Adoptée

Dépression & Addiction : un témoignage pour comprendre

Publié par Sandra le

Témoignage de Abdulaye, ancien jeune des quartiers

Cliquez sur Play pour écouter le témoignage.

Parler addiction dans notre société actuelle n’est pas chose aisée. Bien que lorsqu’il s’agisse de médicaments ou de drogues, cela est reconnu comme étant une maladie. Quand il s’agit de consommation d’alcool excessive, c’est une autre histoire.

Un témoignage sur la santé mentale, l’addictologie et les troubles dépressifs

Abdoulaye, 38 ans, issu des quartiers de la région parisienne, est sorti de plusieurs années de dépression. Cet état dépressif l’a notamment entrainé vers l’alcoolisme. Son addiction à l’alcool avec un verre quotidien est donc devenue une maladie.

Ne pouvant en parler par honte, mais aussi par peur de ne pas être compris, il décide à présent d’en parler pour sensibiliser sur le sujet. Car l’addiction et la dépression font partie d’une santé mentale dont il faut prendre soin mais que la société la met de côté, ou la minimise. Du moins pour l’instant.

Dans cet épisode, il partage son parcours, ses expériences, son analyse de la dépression qu’il a vécu du fait de ne pas se sentir à sa place.

Sorti de son quartier, il s’est retrouvé dans la « vraie » vie de manière brutale, confronté notamment au racisme alors qu’il n’était pas préparé.

Un boulot qui ne le satisfaisait pas et qui l’a conduit à une déprime, puis dépression. Il s’est mis à boire, de plus en plus, pour oublier.

Écoutez son parcours dans cet épisode. Abdulaye s’est ensuite beaucoup renseigné et a lu de nombreux livres qui l’ont aidé à comprendre ce par quoi il était passé.

Vous trouverez les livres qui l’ont aidé à s’en sortir en bas de l’article.

Chapitres de l’épisode

  • 00:00 Présentation de Abdoulaye
  • 01:41 Comment a t’il détecté sa dépression ?
  • 05:05 Y a t’il eu un évènement déclencheur ?
  • 07:00 Les relations avec l’entourage
  • 08:04 Comment dépister l’alcoolisme ?
  • 10:31 Boire pour oublier
  • 12:28 Guérit-on un jour ?
  • 13:07 Identifier les causes d’une dépendance à une substance
  • 16:45 L’arrivée brutale dans la vie d’adulte
  • 19:04 Comment il prépare ses enfants à vivre certaines situations ?
  • 20:23 Quelles différences entre la génération de tes parents et la tienne ?
  • 21:37 As-tu voulu sortir de l’alcoolisme pour toi ou pour tes parents ?
  • 24:06 Va t’on vers un changement dans les mentalités par rapport à des sujets sensibles comme la dépression, l’alcoolisme, la politique ?
  • 27:22 Qu’est-ce qui explique ce fossé entre ces générations ?
  • 31:36 Pourquoi ceux des quartiers qui réussissent n’y retournent pas transmettre les clés du succès ?

Qui est Abdoulaye ?

Je m’appelle Abdoulaye j’ai 38 ans. Je travaille à la SNCF et je suis moi-même podcasteur mais dans un autre domaine. 

Ici, je suis venu ici partager une expérience personnelle et j’espère que ça pourra aider d’autres personnes qui ont eu une dépression ou qui sont encore en dépression. 

merci de m’avoir invité.

Question : Est-ce que tu as l’impression d’être sorti de de cette dépression ?

Réponse de Abdulaye : 

Oui je pense. Mais j’en suis pas certain. J’y reviendrai plus tard.

La particularité de la dépression c’est déjà de la détecter. 

Ensuite il n’y a pas forcément de solution pour la vaincre.

Tout le monde doit trouver sa petite route mais on n’est jamais sûr d’être arrivé.

Comment détecter la dépression

Comment toi tu l’as détecté chez toi ? Qu’est-ce qui t’a permis de mettre des mots sur des ressentis ? 

Réponse de Abdulaye : 

Alors moi ça a été un parcours assez atypique. Je ne me suis pas intéressé à la dépression tout de suite. 

Parce que la dépression, ça va entraîner certains comportements.

Pour moi, ça a été tout ce qui est comportement addictif, par rapport à à l’alcool.

Je suis allé voir mon médecin généraliste pour traiter en particulier de ce problème-là parce que je voyais mes consommations augmenter.

Je me suis posé la question “est-ce que je ne suis pas en train de dériver ?” 

Donc je suis allé voir mon médecin généraliste qui lui m’a traité. Il m’a donné un anxiolitique. Pendant un certain temps ça a fonctionné, ma consommation a réduit.

Mais ce n’est pas pour autant que je me sentais bien. Pendant plusieurs mois, j’ai continué à à prendre des médicaments, des Benzodiazépines, qui ont la particularité de rendre addict. C’est un cercle vicieux.

Je n’arrivais plus à dormir sans ces fameux Benzodiazépines. J’en ai parlé à une amie qui m’a dit “peut-être que tu devrais aller voir un psychiatre ou un psychologue”. Je ne comprenais pas l’utilité parce que dans ma vie de tous les jours, tout se passait bien. Au travail, aucun collègue ne pouvait se douter que ça n’allait pas. J’ai toujours le sourire. Tout va bien. 

Mais plus les mois passaient, plus les années s’enchaînaient, ça a commencé, je pense, au début de la trentaine. J’ai eu de plus en plus de fatigue, de plus en plus de mal à faire les tâches du quotidien. Ne pas être présent, par exemple, si je suis en famille, avec mes enfants. On est censé passer un bon moment mais je suis perdu dans mes pensées. Je suis en train de réfléchir à des problèmes qui n’en sont pas vraiment. Généralement, c’était des factures que je pouvais payer donc il n’y avait pas de problème. Mais je n’arrivais pas à être présent physiquement et mentalement. Physiquement parce que j’étais fatigué et mentalement parce que j’étais ailleurs. Mais pour moi c’était pas de la dépression parce que de là où je viens, j’ai grandi dans un petit quartier de banlieu à quelques kilomètres de Paris, dans mon entourage, on a un peu ce côté où c’est sortir de sa virilité de dire que on est en dépression. 

Donc j’en ai pas parlé à mes amis proches. J’en ai parlé à une amie, une femme parce que pour moi ça me semblait réducteur d’aller voir mes amis hommes, de leur dire 

“bon bah en fait, je ne vais pas bien mais je sais pas pourquoi.” 

Parce qu’on va me dire “mais tu as des enfants, tu as un boulot. De quoi tu te plains ?”

Venant de pays, mes parents sont du Mali, donc l’immigration, on a des problèmes bien plus graves dans nos pays, ce qui fait que même avec nos parents, c’est compliqué d’aller les voir et de trouver une oreille attentive. 

Je ne l’ai pas fait donc je ne sais pas s’ils se seraient prêtés au jeu. Mais j’ai appréhendé tellement longtemps que les choses se sont aggravées. 

Et puis je suis arrivé à un moment où sortir de mon lit pour aller prendre une douche, c’était une épreuve.

Quand j’en suis arrivé là, j’ai regardé sur internet. J’ai fait un peu comme tout le monde donc j’ai Google un peu tout ce qui m’est arrivé.

Mes problèmes de fatigue, le fait que le quotidien soit difficile. c’est là que je suis tombé sur la définition de la dépression. à chaque fois que je lisais une ligne, je me disais “ah oui, je suis en plein dedans”.

Et donc là, la phase de l’acceptation. 

Avant la phase d’acceptation de sa dépression, quel évènement ?

Question : Avant que tu en arrives à cette phase d’acceptation, y a t’il eu un événement particulier dont tu te rappelles qui a pu déclencher cette dépression ? Comment as-tu analysé tout ça ?

Réponse de Abdoulaye : 

Aujourd’hui avec du recul, j’ai pu comprendre l’origine de ma dépression. 

Mais pendant longtemps, j’ai cherché la cause. J’en suis arrivé au point de me dire qu’en fait j’ai été dans une vie, dans un travail de façade pour moi. C’est-à-dire que j’ai pris un boulot disons sécuritaire, à la SNCF où on ne me challenge pas. C’est vraiment la sécurité de l’emploi. Je suis tombé dans une routine de monsieur tout le monde. Mais ce n’est pas cette vie là que je voulais.

Au fond de moi, je ne me suis pas écouté. Donc petit à petit, ça a fait grandir quelque chose à l’intérieur de moi. Une gêne. Comme si j’étais spectateur de ma propre vie. C’était très difficile d’analyser tout cela. Quand je reviens en arrière, je me dis que je n’aurais pas fait autrement. J’ai de beaux enfants, ça m’a encore plus perturbé de faire cette introspection parce que je l’ai fait seul. Vraiment, si j’ai un conseil à donner à tous ceux qui sont passés par là, il faut se faire accompagner. Il faut en parler avec un spécialiste. Parce que moi, pendant longtemps, j’ai eu un peu le web blues comme on dit. C’est-à-dire aller sur internet, chercher, trouver des témoignages. Mais rien ne vaudra une bonne discussion avec un spécialiste. Vraiment. 

L’événement en question qui a déclenché mon état dépressif, c’est juste que ma vie ne me convenait pas. Ma vie professionnelle, le temps que ça me prenait parce que je travaillais beaucoup les weekends, les jours fériés. J’ai perdu énormément de liens sociaux avec mes amis, avec ma famille donc il fallait que je réagisse. J’ai été consulté mais c’était essentiellement ça le problème. Avec sans doute d’autres problèmes que je suis encore en train de défricher petit à petit. C’est lié à l’enfance sûrement.

Les liens sociaux rompus

Par rapport à ton entourage, tu t’en es détaché au fur et à mesure. Tu leur en parles à présent ? Sont-ils plus ouverts sur le sujet ? 

Réponse de Abdoulaye sur ne plus donner de nouvelles :

Oui. Oui j’en ai parlé avec mon entourage. 

De leur côté, ils se sont dit “peut-être qu’il préfère s’isoler en ce moment. Peut-être qu’il est pris par le travail.”

Ils n’osent pas poser la question. Ensuite, ils construisent leur vie, ils fondent une famille. Tout le monde est un peu pris dans la routine. On fait moins attention. Quand on était adolescent, toujours ensemble, un ami qui ne donne pas de nouvelles pendant quelques semaines, on ne s’inquiète pas. Sauf que pour moi, c’était des mois. Parfois ils m’appelaient. Je ne répondais pas. Au début, ça les inquiétait mais ils se sont habitués à ce que je ne réponde pas tout de suite. Ils n’ont plus eu d’inquiétude. Lorsque j’en aurais parlé avec eux et que je leur ai expliqué, ils se sont dit “ah oui, on se posait la question. Mais on n’a pas vu venir parce que j’arrivais quand même à avoir une Poker Face. Le peu de fois où je les voyais, je ne laissais rien transparaître. Je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent pour moi. 

Détecter l’alcoolisme

Comment dépister l’alcoolisme dans une société franco-française où boire est « cool » ?

Maintenant tu es sorti de tes addictions.

Mais comment tu as fait pour te dire que ça devenait trop ? ça n’est pas évident car c’est quand même assez banal de boire en France. Un petit verre par-ci, un autre par là, dans la semaine, le midi, le soir et avec l’entourage ne ne change pas sa propre consommation. 

Réponse : 

À partir du moment où j’ai senti une dépendance physique. 

Au début, c’était des boissons pendant une fête, un usage festif.

Boire seul, pour moi, déjà c’était un palier qu’il ne fallait pas franchir. J’étais souvent invité dans des fêtes, dans des mariages, etc. alors il n’y avait pas de problème. Mais j’avais une consommation qui était exponentielle. Le moment où on doit retourner au travail, lundi, mardi, mercredi et que notre corps est en demande, ça veut dire qu’on est dépendant. 

Je l’ai tout de suite pris au sérieux. Je n’ai pas attendu. Je ne pense pas que le problème vienne de là parce que je ne trouve pas ça bon. Je ne suis pas quelqu’un qui a une culture liée à l’alcool. Autour de moi il n’y a pas beaucoup de buveur donc je ne suis pas tenté. Au travail, non plus. Je me suis donc posé la question de pourquoi ce produit. 

C’est en remontant la chaîne que je me suis aperçu que c’était pour cacher, éteindre une émotion. Mais il fallait d’abord traiter l’addiction parce que ça crée un nouveau schéma dans le cerveau. 

C’était la partie pour moi la plus facile parce qu’il y a une béquille. On a un traitement. On a un accompagnement. Il y a certaines personnes qui sont alcooliques dû à leur environnement, à plein de choses. Mais moi je buvais pour éteindre un peu mes angoisses, pas du tout parce que le produit m’intéresse ni lié à un environnement, comme travailler dans un bar par exemple. Je sais qu’il y a certains artistes qui ont besoin aussi de stimulant pour ça. 

Cette partie-là a été plus facile pour moi que celle d’après, c’est-à-dire détecter le problème de fond. 

Qu’est-ce qui m’a amené à consommer excessivement ?

C’est ce qui crée une dépendance, mais avant la dépendance, qu’est-ce qui a créé cette envie de vouloir cacher quelque part mes émotions ?

Oublier, je pense que la plupart des addictions, c’est pour oublier. Le produit en soi, il n’est pas bon. Il y a certaines personnes qui aiment ça, on ne va pas généraliser. Mais quand vous prenez les gens dans la rue qui sont avec une vodka premier prix, ils ne trouvent pas de plaisir. C’est parce qu’ils cherchent à cacher quelque chose, à oublier ou à s’évader, ne serait-ce que pendant quelques instants. 

Mais de quoi on s’évade ? C’est là où il faut creuser. De quoi a-t-on a peur ? 

Addictions et mal-être

Après quelque temps d’introspection, de rencontre avec un psychiatre, Abdulaye a réalisé que ses consommations excessives ayant provoqué une dépendance était lié à un mal-être.

Ce mal-être s’était installé à son insu, remettant en cause sa santé mentale.

Une impossibilité de s’exprimer sur ces troubles dépressifs

Malgré la belle vie qu’il menait, son enfant qu’il avait eu, Abdulaye s’est rendu compte qu’il n’allait pas bien. Notamment lorsqu’il s’agissait de devoir se lever le matin, pour préparer son enfant à aller à l’école, il était fatigué. Même prendre une douche était devenu difficile.

Mais s’il en parlait autour de lui, il faisait face aux réactions classiques des personnes :

« Mais de quoi te plains-tu ? » « Regardes, tu as de la chance par rapport à ceux qui sont restés au pays ».

Car oui, Abdulaye est issu d’une famille d’immigrés. Alors il devrait s’estimer heureux, d’être là en France, avec un toit sur la tête.

Sortir de la dépendance à l’alcool

Abdulaye avait vraiment envie de s’en sortir. Pour cela, il a eu un suivi psychiatrique et a commencé un traitement médicamenteux. Celui-ci était d’abord pour soigner ses troubles anxieux.

Pour sortir de l’alcoolisme, il a dû faire un sevrage dans un service spécialisé. Cela implique une abstinence… à vie !

En effet, des études le prouvent, après une dépendance, une personne devient vulnérable. Et cette vulnérabilité peut la conduire à faire une rechute À TOUT MOMENT.

Où en est-il aujourd’hui ?

À présent, Abdulaye a pu sortir de son addiction. Mais il continue de voir un psychothérapeute. Car aujourd’hui, il fait beaucoup plus facilement le lien entre addiction, dépression et mal-être.

Cela fait d’ailleurs parti de son message : ne pas hésiter à se faire accompagner.

Qu’il s’agisse d’un psy, d’un psychiatre, d’un psychothérapeute, d’un thérapeute, pour soigner ce mal-être, ces troubles mentaux, il est important de demander de l’aide.

Livres pour démarrer une thérapie

Jean-Luc Ducher - Vaincre son anxiété par soi-même
Jean-Luc Ducher – Vaincre son anxiété par soi-même
Moussa Nabati - Comme un vide en moi - Les effetes de la dépression et addiction
Moussa Nabati – Comme un vide en moi

Catégories : InterviewPodcast

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