Partage du jour : En juin 2025, j’ai décidé de retourner dans mon pays natal, la Bolivie. J’y suis restée 3 semaines.
Dans cet écrit, je partage mes pensées quelques jours après mon retour.
Cela faisait quelques mois que j’avais cette idée.
Tenter de me reconnecter à mon pays de naissance, retourner dans ma ville natale pour retrouver ce petit je-ne-sais-quoi qui me manquait.
C’est notamment l’interview avec Sandrine Canaux, lors du dernier sommet, qui m’a ouvert la voie. Je pensais que c’était le dernier fil qui me manquait. Une identité de naissance, une culture que je ne connaissais pas, dont j’ai ignoré l’existence pendant plus de 40 ans.
Alors j’avais l’impression que retourner là-bas m’aiderait à sortir d’un brouillard.
Oserai-je dire retrouver une partie de mon âme ?
Après plusieurs mois de réflexion et de report, ma décision était prise : 1 mois plus tard, nous étions dans l’avion direction l’Amérique du Sud.
En route vers un inconnu, pas si inconnu, et une sensation bizarre “vais-je réussir à trouver ce qu’il me manque, sans vraiment savoir de quoi il s’agit” ?
Un premier retour dans mon pays natal en 2004
La dernière fois que je suis allée dans ma ville natale, c’était en 2004, quasiment 21 ans plus tôt, jour pour jour.
Ce premier voyage ne s’était pas fait dans la douceur.
Je n’étais pas prête.
Ce n’était pas moi qui avait décidé de partir, c’était forcé. Pendant 20 ans, mes parents ne m’avaient jamais parlé de mes origines, de ma culture latine. Ils ne m’avaient emmené à aucun événement sud-américain.
Bon, en même temps, dans les années 80, en Bretagne, il n’y en avait pas beaucoup. ça fait une belle excuse.
Pas un mot en 20 ans, et d’un coup, ma mère décide d’y faire un voyage pour m’aider à me reconnecter à mes origines. Le tout, dans l’espoir que cela allait résoudre tous mes problèmes et m’aider sortir de mon mal être. Raté. ça a eu l’effet inverse. Mais j’en ai déjà parlé.
Une 2ème voyage 20 ans plus tard
Pour en revenir à aujourd’hui, cette fois-ci, j’y vais de mon plein gré avec la ferme intention de me reconnecter à “qui je suis”, “d’où je viens”.
Re-découvrir les saveurs de mon enfance, retrouver les odeurs, la chaleur et, qui sait, peut-être retrouver la maison où j’ai grandi.
Bien entendu, rien ne s’est passé comme prévu.
- Je n’ai pas retrouvé la maison. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. D’ailleurs, énormes pensées à ceux qui rentrent dans leurs pays de naissance pour retrouver leur mère biologique, ou une famille, sans avoir aucune information. Quelle patience. Quelle force.
- J’ai détesté la bouffe. Marre du poulet frit à l’huile. Pourtant, on m’avait promis que j’allais bien manger.
- Il n’a pas fait beau. Pire, Santa Cruz a connu un épisode de froid comme jamais elle n’en a connu auparavant. Entre 2 et 8 degrés alors que d’habitude, en hiver, il fait plus de 15 degrés.
Et pourtant, après quelques jours d’adaptation, je me suis sentie bien.
Je me suis sentie chez moi.
J’ai eu du mal à mettre des mots sur cette sensation jusqu’à une rencontre qui m’a ouvert les yeux :
j’étais enfin reconnue par mes pairs. J’étais enfin reconnue comme bolivienne. J’étais enfin quelque part, pour de bon.
Car si mon accent me trahissait, avant que je n’ouvre la bouche, tout le monde me pensait “d’ici” (ou de là-bas suivant le point de vue).
Les questions “vous venez d’où” n’étaient pas ces questions de curiosité mal placée, mais des questions d’ouverture d’esprit, avec ce petit accent qui intrigue.
En plus d’être reconnue par les boliviens, j’étais particulièrement reconnue par les crucènes (nom donné aux habitants de Santa Cruz).
Mieux encore, je me reconnaissais dans ces visages.
J’avais les traits de certaines femmes que je croisais dans la rue, dans les magasins ou dans le bus.
Comme je peux reconnaître les français à l’étranger ou les bretons en France, je pouvais enfin retrouver mon visage dans le visage d’autres femmes. Certaines femmes pouvaient me ressembler. Je ressemblais à certaines femmes.
Et ça, ça m’a fait du bien.
Cette histoire de vraisemblance
Pendant longtemps je me suis fait croire que ressembler à quelqu’un n’avait pas d’importance.
Que ce n’était pas grave si je ne connaissais pas le visage de ma mère biologique. Que ça ne servait à rien de savoir.
Et pourtant, quand on m’a envoyé les premières photos de ma potentielle mère de naissance et de mes soeurs, dont je découvrais l’existence, c’est la première chose qui m’est venue à l’esprit.
Est-ce que je leur ressemble ?
Forcément, quand on n’a pas de réponse, c’est plus facile de se faire croire que ça n’a pas d’importance.
Mais il ne faut pas oublier que la reconnaissance est l’un des piliers de la pyramide de Maslow. C’est aussi par la crise identitaire qu’un ado ou pré-ado se construit.
Bref. Pour revenir à ce voyage, alors qu’il y a 20 ans, je ne comprenais pas pourquoi les personnes “s’imaginaient” que j’étais de la bas, (j’étais française, rien à voir avec la Bolivie !), que ça m’a fait du bien, de voir qu’aujourd’hui, les personnes me reconnaissait comme “cruceña” ! (personne native de Santa Cruz)
En effet, encore une semaine avant le départ, alors que je visitais un bien avec un agent immobilier à quelques kilomètres de chez moi, cette personne me lance un gentil “mais vous parlez très bien français, Madame”.
Mais comment, en 2025, peut-on encore penser, dire des choses comme ça ?
Un voyage qui fait du bien
Alors oui, ce voyage m’a fait du bien.
J’avais pensé me reconnecter aux saveurs culinaires, retrouver les goûts et les odeurs de ma courte enfance là-bas.
J’avais imaginé retrouver la trace de mon père biologique.
Ce que j’ai trouvé est beaucoup plus abstrait mais tellement plus apaisant.
J’ai assimilé que je suis d’ici ET de là-bas.
Il m’aura fallu 20 ans avant de pouvoir refaire ce voyage et me dire pour la première fois “je suis chez moi”.
Mais aussi pour me dire “Et voilà, c’est fini, on rentre à la maison” quand on était dans le vol retour, après 1 mois d’absence.
Car la France reste le pays où j’ai grandi, celui dans lequel j’ai baigné, et où forcément sont nés les goûts et les couleurs, où je me suis imprégnée d’une culture française, avec une vision française.
J’ai ainsi réalisé que :
- Il y a des choses que l’on a dans notre ADN, qui est dans notre sang.
- Il y a des choses que l’on reçoit de l’environnement dans lequel on a grandi.
- Et mieux encore, il y a des choses que l’on construit soi-même. Des convictions intimes, des croyances que l’on se forge, que l’on se crée au fil des différentes expériences de vie.
Ce sont ces dernières que l’on se doit de cultiver, pour ne jamais perdre pied, et croire en ses rêves. En lesquelles on doit croire dur comme fer. Ce sont celles-ci qui sont inébranlables ou au contraire, qui s’ajustent en fonction de l’évolution de notre vie.
Fini le regard des autres qui a un impact sur moi, qui me déstabilise. Car le racisme est aussi un rapport de force. Je décide qui a la force.
Je ne veux plus être outrée quand j’entends “tu parles bien français”.
Je reviens à la maison plus complète, alors que je pensais déjà l’être.
Je reviens en me connaissant encore plus qu’auparavant, en comprenant mieux pourquoi j’ai des caractéristiques que nulle autre n’a ici.
Je reviens en sachant mieux ce que je veux et ce que je ne veux pas.
Je reviens en étant Moi. Je me suis retrouvée.
Que votre prochain voyage puisse vous aider à vous reconnecter à vous-même, plutôt que d’être une fuite.
Sandra









Ton retour dans ton pays natal… quel mélange d’émotions ! On le ressent à chaque ligne. Merci d’avoir osé mettre des mots sur quelque chose d’aussi intime.
Quelle belle histoire ! Elle montre une fois de plus qu’il est important de connaitre ses racines, mais aussi qu’il y a un temps pour tout. Merci pour ce partage !
Jolie histoire, d’une touchante sincérité. J’ai particulièrement été marqué par ce passage sur la vraisemblance et le besoin de se reconnaître dans le visage d’autres personnes. Merci pour ce partage profond et touchant.
Votre article est touchant, j’ai souvent fréquenté des personnes qui ont été adopté et la plupart ont cette quête d’identité : d’où ils viennent (pays et ville) et quelle est leur famille.
C’est un voyage qui peut être douloureux mais aussi qui peut éclairer sur qui est la personne adoptée.